ENSTA Bretagne : suivi des cétacés par acoustique passive

Bilan du projet CETIROISE : Suivi des populations de cétacés

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Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication
En 2021 dans le cadre du plan France Relance, le Parc naturel marin d’Iroise (PNMI) et l’ENSTA Bretagne ont lancé le projet CETIROISE qui vise à suivre les populations de cétacés par le biais d’un observatoire acoustique autonome implanté dans l’enceinte du Parc naturel marin d’Iroise durant une année (2022-2023). En effet, le parc naturel marin d’Iroise accueille des populations résidentes de grands dauphins mais constitue aussi une zone d’importance pour d’autres cétacés : dauphins communs, marsouins communs, dauphins de Risso, rorquals communs, petits rorquals. Pour beaucoup de ces espèces, les observations restent rares mais le suivi par acoustique permettra de mieux inventorier et connaître la fréquence et la saisonnalité avec laquelle elles utilisent la mer d’Iroise.

Le suivi par acoustique passive

Sous l’eau, la lumière pénètre uniquement sur une dizaine de mètres, réduisant rapidement la visibilité. Le son en revanche se propage cinq fois plus rapidement que dans l’air et y est faiblement atténué, faisant de la communication acoustique le moyen le plus adapté pour la transmission de l’information sous-marine. Les cétacés émettent ainsi tout une gamme de signaux sonores dans une large gamme de fréquence pour communiquer, se repérer et chasser. Le suivi par acoustique passive est une technique qui consiste à enregistrer de façon passive le paysage sonore sous-marin à l’aide d’un ou de plusieurs instruments (contenant à minima un microphone étanche ou hydrophone et une carte d’acquisition) et d’en extraire des informations sur le paysage sonore sous-marin notamment la présence acoustique de cétacés.

Le protocole de collecte de données

Dans la partie nord du parc, 7 sites d’écoute ont été choisis pour ce projet (Figure 1). Chaque site est équipé de deux instruments autonomes qui stockent la donnée collectée : un détecteur de clics d’écholocalisation de type F-POD (Cetacean POrpoise Detector, Chelonia Ltd) et un enregistreur autonome large bande de type Sylence - LP 440 (RTSYS – Underwater Acoustics & Drones). Deux systèmes de mouillages différents ont été conçus selon la profondeur du site : un système adapté aux sites côtiers (sites E et F, profondeurs entre 25 et 35 mètres) et un système adapté aux sites plus au large (sites A, B, C, D et G, profondeurs entre 60 et 120 mètres). Ces instruments autonomes sont fixés sur les sites et la récupération des enregistrements était réalisée tous les trois mois. Pendant ces contrôles les équipes ont pu avoir quelques surprises. Comme en décembre 2022, lorsqu’un hydrophone a quitté son mouillage.  Il a été retrouvé 2 mois plus tard au nord de l’Allemagne par la DGzRS - Die Deutsche Gesellschaft zur Rettung Schiffbrüchiger (La Société allemande pour le sauvetage des naufragés).

ENSTA Bretagne : carte des points d'écoute en mer d'Iroise

Figure 1 : Récapitulatif des positions des 7 points d’écoute dans le périmètre du Parc naturel marin d’Iroise (points rouges A-B-C-D-G : systèmes de mouillage du large avec largueur acoustique et lest posé au fond et points E-F : systèmes de mouillage côtier relevé par des plongeurs).

ENSTA Bretagne : systèmes de mouillage côtier (projet Cetiroise)

Figure 2 : Système de mouillage côtier posé au fond avec intervention des plongeurs (points E et F). Crédit photos : Yannis Turpin (PNMI).
 

ENSTA Bretagne : ligne de mouillage d'hydrophone pour suivi des cétacés en mer d'Iroise

Figure 3 : Ligne de mouillage du large avec largueur acoustique et lest posé au fond (points A, B, C, D et G). Crédits photos : ENSTA Bretagne.

Méthodes d’analyses 

Plusieurs étapes d’analyses sont nécessaires pour extraire des informations importantes des enregistrements. L’analyse des niveaux de bruit est le premier traitement appliqué aux données brutes et permet de représenter les spectrogrammes long-terme ainsi que les densités spectrales de puissance sur des phases complètes d’enregistrement. Ensuite, plusieurs étapes d’analyses sont nécessaires afin d’extraire les informations d’intérêt du signal acoustique brut. En premier lieu, une partie des données larges bandes est annotée manuellement par des analystes. Cette technique étant trop chronophage pour permettre l’analyse du jeu de données en entier, des détecteurs automatiques sont alors utilisés dans un second temps. Une étape très importante est ensuite de calculer les performances de ces détecteurs automatiques en comparant leurs sorties aux détections manuelles préalablement effectuées. Enfin, les détections brutes doivent être mises en forme et traitées de façon statistiques pour ressortir les résultats concernant la fréquentation des cétacés dans le Parc Naturel Marin d’Iroise.  

Quelques résultats 

Grâce aux analyses des enregistrements, des modèles de fréquentations et des taux de présences ont été relevés. Ces modèles diffèrent en fonction des saisons ainsi que des moments de la journée. 

Les delphinidés ont été fortement détectés tout au long de l’année avec plus de détection sur les sites du large. Ces résultats confirment l’intérêt du secteur nord du parc pour les delphinidés particulièrement au large d’Ouessant où ils sont présents toute l’année. Le nombre de détections de sifflements, indicateur d’un comportement social, est plus important que le nombre de clics (indicateur d’un comportement d’alimentation) et ce sur tous les sites. Mais ce contraste peut en partie être expliqué par les performances de détection qui diffèrent pour les deux types de signaux et/ou par le fait que le rayon de détection des clics est plus faible que celui des sifflements. 

Les marsouins ont été détectés sur tous les sites, confirmant la présence de cette espèce dans tout le nord du parc. C’est en été que les marsouins sont le plus présents.

Pour les plus grands cétacés, des vocalisations de petits rorquals ont été enregistrées à l’ouest de Ouessant en automne, coïncidant avec plusieurs observations visuelles en septembre et octobre 2022 (Export données ObsEnMer). Par contre aucunes vocalises de rorquals communs n’ont été détectées, mais cela n’est pas synonyme d’absence de présence sur le territoire. Cette espèce émet des vocalisations basses fréquences. C’est sur ces mêmes fréquences que l’on trouve les bruits liés aux courants de marée qui ont pu masquer les vocalisations de mysticètes. Une hypothèse avance également que seuls les mâles émettraient des vocalisations, et uniquement à certaines périodes de l’année. Enfin, il se pourrait également qu’aucune vocalisation n’ait été émise dans la zone durant la période du suivi alors que l’espèce était bien présente. 

L’équipe de l’ENSTA Bretagne continue de travailler sur ce jeu de donnée riches en informations pour compléter et améliorer ces résultats. La collecte des données sur les 2 points côtiers se poursuit au-delà de CETIROISE afin d’avoir une vision d’éventuelles variations inter-annuelles dans la fréquentation du parc par les cétacés.  

Même si l’acoustique passive ne permet pas de comptabiliser le nombre de cétacés présents, le projet CETIROISE conforte l’importance du parc pour les cétacés. Il met particulièrement en lumière la présence de delphinidés toute l’année et même en continu sur les secteurs du large d’Ouessant.