Entretien réalisé le 12 mai 2022 avec Nicolas Cailler, lors de la remise du prix ATMA 2022
Nicolas Cailler est un jeune ingénieur - architecte naval - hydrodynamicien diplômé d'ENSTA Bretagne en 2021 et major de la spécialité "architecture navale et offshore". Curieux, passionné et très attiré par le monde de la recherche & développement, il réalise actuellement une thèse à Sorbonne Université.
Quel est votre parcours d’étude ?
" Après des études en classes préparatoires, filière Maths-Physique, j’ai intégré l’ENSTA Bretagne pour son offre unique de formation en architecture navale & offshore, mais aussi pour son vaste choix de partenariats nationaux et internationaux. Ceci m’a ainsi permis d’effectuer une année de césure au sein de la Politecnico di Milano en Building and Architectural Engineering. En dernière année de formation, j’ai choisi de suivre la spécialisation Hydrodynamique Navale Avancée, notamment pour la possibilité de Master Recherche co-accrédité avec l’UBO, dans la perspective de poursuite en thèse de doctorat."
Dans quel organisme avez-vous réalisé votre projet de fin d’étude (PFE) ?
" J’ai réalisé mon PFE au sein du département NAVAL de SAIPEM SA. Le groupe SAIPEM est une entreprise internationale majeure du secteur « Oil & Gas », dont le siège est en Italie, avec un site d’ingénierie en France situé à Montigny-le-Bretonneux en Île-de-France. Le département NAVAL, dirigé par M. MOUYSSET, est constitué d’une quinzaine de personnes et regroupe des ingénieurs navals travaillant notamment sur des problématiques d’analyse de levage, de mouillage, d’installation & transport ou de fatigue des structures du secteur offshore. Ce sont des projets nationaux et internationaux qui concernent différents types de navires et plateformes flottantes propres au secteur maritime de l’ « oil & gas »*.
Mener une étude sur ces navires et plateformes très spécifiques m’a permis de tester mes connaissances et approfondir mes compétences en architecture navale, pouvant être appliquées ensuite à tous types de navires."
Parlez-nous du sujet de cette étude pour laquelle vous recevez le prix ATMA 2022 ?
" La prédiction et la réduction du roulis à bord des plateformes flottantes et navires spécifiques de ce secteur intéressent les compagnies parapétrolières, en ceci que l’amplitude en roulis conditionne non seulement le confort de l’équipage à bord, mais également la performance et le dimensionnement des équipements sensibles au mouvement du navire.
Parmi les différentes technologies de réduction du roulis disponibles, la stabilisation de ces navires par des cuves anti-roulis offre une alternative séduisante, du fait de son faible coût de maintenance, de son efficacité aux vitesses réduites ou nulles, et en raison de l’absence d’impact sur la résistance à l’avancement.
L’étude que j’ai menée est principalement théorique et numérique. J’ai par exemple pu réaliser les calculs de tenue à la mer à l’aide du logiciel HydroSTAR du Bureau Veritas, que j’ai assez rapidement réussi à utiliser, car très proche d’autres logiciels professionnels sur lesquels nous sommes formés à l’ENSTA Bretagne."
Étiez-vous déterminé à étudier l'architecture navale et l'hydrodynamique en entrant à l'ENSTA Bretagne ?
"Depuis de nombreuses années, je suis fasciné par le monde de l’architecture et de la construction au sens large, en raison de la démesure des projets réalisés et des aventures humaines associées. En intégrant l’ENSTA Bretagne, je savais donc vers quelle voie d’approfondissement me diriger.
Cependant, le choix de l’hydrodynamique s’est fait de manière très progressive. C’est lors de mon stage de recherche chez EDF R&D en 2019 que j’ai entr’aperçu la richesse qu’offrait le domaine de l’hydrodynamique dans ses multiples applications de la Physique. Un sentiment très vite confirmé lors de ma dernière année de formation à l’ENSTA Bretagne, en particulier lors de la visite exceptionnelle du site de la Direction Générale de l’Armement « DGA Techniques Hydrodynamiques », à Val-de-Reuil, un centre de référence doté d’un imposant bassin d’essais. Puis bien sûr ensuite lors de la réalisation de mon PFE chez SAIPEM."
Depuis l’obtention de votre diplôme d’ingénieur en septembre 2021, vous avez entrepris une thèse. Pourquoi ce choix ?
"Ce choix a procédé de toutes ces expériences hautement positives et des échanges nourris avec mes professeurs. C’est tout d’abord l’envie d’approfondir mes connaissances scientifiques sur un projet de trois ans dans un environnement intellectuellement très stimulant. C’est aussi avec le projet d’intégrer des départements de R&D au sein de grands groupes industriels, dans lesquels le statut d’ingénieur-docteur est de plus en plus recherché.
Le parcours d’ingénieur-docteur est un des nombreux choix possibles quand on étudie à l’ENSTA Bretagne. Nous y sommes très bien préparés du fait de la possibilité de réaliser des doubles diplômes de master orientés sur la recherche et par la présence au centre du campus ENSTA Bretagne d’un vaste centre de recherche, de moyens expérimentaux multiples et de nombreux doctorants (plus d’une centaine)."
Sur quel sujet et où réalisez-vous votre thèse ?
"Ma thèse à l’Institut Jean Le Rond ∂’Alembert, co-encadrée par MM. Arnaud ANTKOWIAK et Régis WUNENBURGER, Professeurs à Sorbonne Université, porte sur des phénomènes hydrodynamiques violents. Ces phénomènes peuvent être générés par l’action des hélices marines (cavitation), lors de la fusion par confinement inertiel, ou encore lors de la formation d'aérosols à la surface de l'océan.
Je m’intéresse par exemple à la rupture de jets liquides ou l’éclatement de bulles, qui évoluent en formant des singularités à temps fini, c’est-à-dire présentent des régions où la vitesse du fluide diverge sur des laps de temps très courts. Si ce type de singularité à temps fini se rencontre aussi dans d’autres domaines de la physique comme l’optique non-linéaire, ou la gravitation en astrophysique, les exemples hydrodynamiques en permettent une étude détaillée en laboratoire. En pratique, à l’approche de ces singularités, d’autre phénomènes physiques tendent à limiter ces divergences, comme la viscosité.
L’objectif de cette thèse de modélisation est de fournir un éclairage sur ces effets régularisants et d’identifier leur rôle dans l’évolution ultime des phénomènes hydrodynamiques violents. D’une part, la disparition d’une bulle au sein d’un liquide sera décrite théoriquement à l’aide de variables autosimilaires, en fonction desquelles la bulle, au lieu d’évoluer violemment, est immobile ou évolue lentement, afin d’étudier sa stabilité vis-à-vis de diverses perturbations. D’autre part, la disparition d’une bulle crevant la surface d’un liquide sera étudiée numériquement en reformulant sa description à l’aide de variables autosimilaires, dans le but de décrire l’évolution singulière de la bulle et son évolution en jet. Cette implémentation utilisera le logiciel Open Source Basilisk développé au laboratoire qui permet notamment de capturer des détails très fins grâce à une stratégie de raffinement adaptatif."
* Dans le métier on désigne ces structures navales flottantes et navires par les acronymes VLCC, FPSO ou FLNG : VLCC pour Very Large Crude Carrier (très grand pétrolier transporteur de brut), FPSO pour Floating Production Storage and Offloading (unité flottante autonome capable de traiter le pétrole brut et de le stocker avant son transbordement sur un « tanker » pour son transport) et FLNG pour Floating Liquefied Natural Gas (complexe flottant d’exploitation de gisement gazier offshore : extraction du gaz, liquéfaction et transfert sur les navires de transport).